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Thierry Pernot
26/04/2021
Des milieux exceptionnels : les tourbières
Formation, évolution, flore et faune. Découvrez la richesse des tourbières.
N° article : 145
  1. La tourbière de Mignovillard (La seigne aux barbouillons) aux quatre saisons<br>

    Les tourbières, des milieux à préserver


    Je vous propose dans cet article de vous retranscrire un document que j'avais réalisé il y a quelques années, lorsque j'étais délégué scientifique sur la réserve naturelle de Mignovillard dans le Jura.


    Vous pouvez télécharger ce livret au format PDF :

    A la découverte de la seigne des Barbouillons


    ORIGINE DE LA TOURBIÈRE DE MIGNOVILLARD

    La Seigne des Barbouillons, tourbière située sur la commune de Mignovillard, dans le département du Jura, présente sur 15 hectares l'exemple type de la tourbière jurassienne, recouvrant une flore étonnante et une faune non moins originale.


    Son histoire commence il y a 15 000 ans.

    Les glaciers qui recouvrent la région à cette époque vont progressivement se retirer suite au réchauffement climatique, sonnant ainsi la fin de la dernière période glaciaire : le Würm. Les glaciers, véritables sculpteurs, ont façonné le paysage. Se réfugiant dans les hautes vallées des Alpes, ils ont abandonné d'innombrables sites propices à la formation des tourbières. 


    CONDITIONS DE FORMATION

    Topographique : une cuvette abandonnée par les glaciers s’imperméabilise progressivement, créant ainsi un petit lac, berceau de la future tourbière.


    Climatique : des précipitations importantes sont nécessaires, il faut entre 1 200 à 2 000 mm / an.

    Elles doivent être supérieures à l'évapotranspiration pour que la tourbière puisse croître ; la température doit être basse, une moyenne annuelle inférieure à 7°C est favorable. Le froid ralentit la décomposition des débris végétaux. Un minimum de chaleur est toutefois nécessaire au développement des mousses.


    Des végétaux colonisent progressivement le lac glaciaire. Les parties mortes des plantes s'accumulent, car leur décomposition est entravée par le manque d'oxygène de l’eau stagnante et des conditions climatiques défavorables.

    L'accumulation s'accompagne d'une lente transformation en tourbe.



    ÉVOLUTION

    Dans un premier temps, la tourbe se forme en dessous de la nappe d’eau. Les eaux de ruissellement apportent de nombreux éléments nutritifs, c’est le stade du bas marais topogène. Lorsque la formation de la tourbe se poursuit au-dessus de la nappe aquifère, les végétaux ne sont plus alimentés que par l’eau de pluie. Le milieu devient alors très pauvre en éléments nutritifs et s’acidifie. Ce stade se nomme : tourbière bombée acide.


    LE CHEF D'ORCHESTRE : LES SPHAIGNES

    Ce stade «bombée acide» constitue la majeure partie de la tourbière de Mignovillard.

    À ce stade, la formation de la tourbe résulte à 80 % de l'accumulation et de la transformation de mousses : les sphaignes. Ce sont des mousses à croissance verticale infinie. Pendant que la partie supérieure se développe, la partie inférieure se transforme en tourbe.


    Capables d’absorber plus de 30 fois leur poids en eau, les sphaignes forment des tapis, évaporant près de 2 fois plus d’eau qu'un milieu d'eau libre. Ceci a pour effet de refroidir le milieu. Au cœur de la tourbière, il arrive fréquemment qu'il gèle en plein été.


    N'est-il pas étonnant d’y retrouver des plantes de pays nordique installées ici quelque temps après la dernière glaciation !

    QU’EST-CE QUE LA TOURBE ?

    En forêt par exemple, les plantes redonnent après leur mort des éléments nutritifs qui seront utilisés par les végétaux présents. Ce phénomène se nomme minéralisation, il est le fait de bactéries. Sur la tourbière, l'absence d'oxygène tue les bactéries, la minéralisation est donc très faible. Un développement normal de la végétation est donc impossible. La tourbe est un substrat organique très pauvre.


    UNE FLORE REMARQUABLEMENT ADAPTÉE

    Pour survivre dans ce milieu particulier, les plantes présentent différentes adaptations. Certains végétaux de tourbières tels la canneberge et l'Andromède possèdent au niveau racinaire des champignons leur permettant d'utiliser l'azote organique.


    Les droséras comme les grassettes ou les utriculaires, sont carnivores. Grâce aux gouttelettes visqueuses observables sur les poils de leurs feuilles, elles attirent et piègent de petits insectes qui seront ensuite digérés au moyen d'enzymes produits par les feuilles.


    La tourbière est gorgée d'eau, mais la tourbe retient l'eau à la manière d’une éponge. Seule, une infime partie de cette eau est donc utilisable par les plantes, d'où la présence de nombreuses espèces adaptées à la sécheresse.


    Les bouleaux pubescents et les pins à crochets sont les seuls arbres capables de se développer correctement sur la tourbière. Celle-ci évolue d'ailleurs, sauf intervention extérieure, vers un équilibre (stade climacique), correspondant à une forêt de pins à crochets.


    La tourbière est une archive qu'il faut savoir déchiffrer.

    L'étude des grains de pollen conservés en son sein permet de reconstituer l’histoire végétale de la région.


    La présence de nombreux points d'eau favorise le développement des libellules, magnifiques carnassières, que l’on peut admirer en train de chasser au-dessus des gouilles. De nombreux papillons sont présents comme par exemple le lycène de tourbière ou le Crambus alienellus, dont Mignovillard est le seul site connu du Jura. Les araignées sont également bien représentées.

     

    Les vertébrés sont plus rares. Les reptiles et les amphibiens en constituent la majeure partie. Aucune espèce de poisson n’est présente, l'eau contenant trop peu d'oxygène. Il est intéressant de constater la forme mélanique (noire) de la vipère péliade. Cette coloration particulière traduit une adaptation au froid ou plutôt au fait que la période propice au développement des œufs est très courte. Sa couleur lui permettrait une meilleure utilisation du rayonnement solaire.


    Une seule espèce de lézard est présente : le lézard vivipare. La particularité qu'il a de garder ses œufs à l'intérieur du corps jusqu'à l’éclosion lui permet de les mener à terme en un temps très court, facteur nécessaire sur la tourbière.

    De nombreuses espèces d'amphibiens (grenouilles et tritons) sont présentes, mais aucune espèce n'est spécifique à la tourbière.

    En ce qui concerne les oiseaux, seul, le pipit farlouse niche au sol au cœur de la tourbière. Les mammifères sont tout aussi rares, mis à part les rongeurs. Toutefois, des observations de lièvres, chevreuils et putois restent fréquentes, quoique non spécifiques à la tourbière.


    L'EXPLOITATION DE LA TOURBE AU DÉBUT DU XXe SIÈCLE

    Par sa composition, la tourbe est un combustible (60 % de carbone. 32 % d'oxygène). Son pouvoir calorique est inférieur de moitié au bois et sa combustion produit fumée et odeurs désagréables.


    Elle fut néanmoins utilisée comme combustible lorsque la forêt avait été surexploitée au niveau local.

    La tourbe ou bois des pauvres fut ainsi exploité jusqu'aux années 1950, non sans réticence, témoin cet ouvrage San Claudien du 19e siècle, en 1786, le Maire de SAINT-CLAUDE en fit apporter (de la tourbe) du Pré de Valfin et la distribua aux pauvres qui n'en voulurent pas…”


    Les tourbières comtoises étaient le plus souvent propriétés communales, exploitées avec un front de taille unique et gérées selon un système d'affouage (un lot tiré au sort par famille).


    Celle de Mignovillard  au contraire, fut partagée le 21 juin 1760 entre les familles de la commune. Ce partage explique ainsi les multiples fosses individuelles d'extraction encore visibles.

    Peu pratique, le système a néanmoins préservé la valeur écologique du milieu. Attention cependant où l'on met les pieds !


    Après extraction à l’aide d'outils spéciaux (pelle, fouachou), les blocs séchaient à l'air libre 2 mois durant, puis complétaient le bois de chauffage. Chaque famille disposait d'environ 16 m3 / an.

    Au niveau industriel, la tourbe fut également employée comme combustible pour les verreries, salines et aciéries de la région. Plusieurs tentatives d'usage agricole furent également réalisées sans grande réussite.


    LA SEIGNE DES BARBOUILLONS

    Cette appellation à consonance contrastée et dont émane une pointe de fantaisie désigne l'Association chargée de gérer la Réserve Naturelle Volontaire (R.N.V.) de Mignovillard.

    Par Seigne, on entendait autrefois les milieux humides, marais et marécages, le lieu-dit représenté par cette seigne portant le nom de "Aux Barbouillons".


    Cette R.N.V. fut créée en 1987 sous l'impulsion de Michel Joly (Direction départementale de l'Agriculture et de la forêt du Jura). Première réserve naturelle volontaire du Jura, elle incarne au niveau départemental et local un désir de sauvegarde du patrimoine naturel.


    Résultant d'une entente entre propriétaires, commune, élus et défenseurs de l'environnement, cette réserve, à la taille modeste, symbolise de manière anticipée une prise de conscience de la communauté en matière d'environnement local.


    RÈGLEMENTATION ET USAGES EN VIGUEUR SUR LA TOURBIÈRE

    Sont interdits sur la Réserve naturelle :

    - Les travaux hydrauliques, le camping, l’écobuage, l'extraction de tourbe, les activités motorisées n'ayant pas pour cadre l'exploitation forestière ; 

    - Le dépôt de matériaux extérieurs, l'extraction ou la destruction de minéraux, végétaux, fossiles ou vestiges archéologiques ; 

    - La chasse photographique du 1er mars au 1er septembre, l'introduction de chiens non tenus en laisse du 1er février au 1er septembre. La chasse, la cueillette et l'exploitation forestière de manière régulière s'y exercent toutefois suivant les prescriptions en vigueur au niveau départemental ou local.


    Certaines zones étant très sensibles au piétinement, d’autres étant dangereuses par la présence de fosses, nous vous demanderons de ne pas les aborder. Le désir de garder le site intact nous a conduits à refuser tout aménagement spécifique.

    GLOSSAIRE

    — Évapotranspiration : Production de vapeur d’eau à partir de la respiration des végétaux et de l'évaporation des sols.

    — Climacique (climax) : Stade ultime d’évolution d’un milieu naturel n'ayant subi aucune altération majeure d’origine humaine.

    — Mélanique : Caractérise une forme noire pour un être vivant.

    — Pubescent : Caractérise un végétal dont les feuilles ou les tiges sont couvertes de poils.

    — Vivipare : Caractérise un être vivant dont l'évolution des œufs se passe au sein de l'organisme naturel avant de donner naissance à un jeune immédiatement viable.




    Aperçu de la flore des tourbières

    Vous pouvez trouver ci-dessous quelques photographies de plantes caractéristiques des tourbières :

    La famille des éricacées est bien représentée avec : 

    La callune (calluna vulgaris)

    L'andromède à feuilles de polium (Andromeda polifolia)

    La canneberge (Vaccinium oxycoccus)

    L'airelle vigne du mont Ida (Vaccinium vitis-idaea)

    L'airelle des marais (Vaccinium uliginosum)

    La myrtille (Vaccinium myrtillus)


    Des plantes insectivores :

    La droséra à feuilles rondes (Drosera rotundifolia)

    L'utriculaire commune (Utricularia vulgaris)

    La grassette (Pinguicula vulgaris)


    Et d'autres fleurs magnifiques comme : 

    La swertie des marais (Swertia perennis)

    Le comaret (Comarum palustre)

    La potentille tormentille (Potentilla erecta)

    Les linaigrettes (Eriophorum vaginatum, angustifolium et gracile)

    Le trèfle d'eau (Menyanthes trifoliata)


    Des arbres particuliers :

    Le bouleau nain (Betula nana)

    Le bouleau pubescent (Betula pubescens)

    Le pin à crochets (Pinus uncinata)



    Sphaignes de différentes espèces
    Plantes de tourbières : Andromède à feuilles de polium, callune, Airelle vigne du mont Ida, Myrtille, Canneberge, Airelle des marais
    Les plantes de tourbières : Swertie des marais, Linaigrette à feuilles étroites, Potentille tormentille, Comaret, Grassette, Utriculaire, Droséra
    Les plantes de tourbière : Pin à crochets, Bouleau nain, Bouleau pubescent, Trèfle d'eau dans une fosse
    L'exploitation de la tourbe sur la tourbière de Bief-du-Fourg (Jura)
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