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Thierry Pernot
01/04/2021
Le génie des oiseaux
Présentation du livre de Jennifer Ackerman sur l'intelligence des oiseaux
N° article : 136
  1. couverture du livre Le génie des oiseaux<br>de Jennifer Ackerman

    Le génie des oiseaux


    Auteure : Jennifer Ackerman

    Année de sortie : 2016 pour la version anglaise, 2017 pour la version française.

    Éditeur : Hachette Livre, éditions Marabout, poche

    Format : 126 x 180 x 27 mm   512 pages

    Prix : 6,90 € 


    Il existe une version moyen format en 140 x 215 x 35 à 19,90 € si vous souhaitez disposer de caractères plus grands.


    Passionnée par les sciences, la nature et la biologie humaine, Jennifer Ackerman est une Américaine originaire du Nebraska. Elle a été primée pour nombreux travaux de vulgarisation scientifique, elle a écrit pour Scientific American, Nationnale Geographic Magazine et le New York Times.

    Vous pouvez la contacter via son site internet ici :

    jenniferackermanauthor.com/


    Jennifer Ackerman a mené son enquête partout à travers le monde pour essayer de comprendre l’intelligence des oiseaux. Ce livre compile une foule d’études scientifiques relatives à ce sujet. Pour vous donner un ordre d’idée, il y a 50 pages de notes en fin de livre pour référencer toutes les études ! Il s’agit d’un livre extrêmement bien documenté et de bon niveau.


    Sur la version grand format, il est indiqué « se lit comme un roman ». Je n’irai pas jusque là, car l’auteure, très sourcilleuse d’appliquer la méthode scientifique, nous livre un document extrêmement riche, mais parfois un peu long et lourd, ce n’est pas un roman du tout.


    La notion d’intelligence n’est pas facile à définir, il existe un très grand nombre « d’intelligences ». L’intelligence logique et mathématique, l’intelligence verbo-linguistique, musicale et rythmique, corporelle et kinesthésique, visuelle et spatiale, interpersonnelle, intrapersonnelle, créative, naturaliste et écologique, etc.

    Bref, il n’est pas facile d’appréhender cette notion. Le livre est justement découpé en 8 chapitres pour nous présenter les différentes facettes de l’intelligence des oiseaux.



    Introduction

    Jennifer commence par nous montrer combien l’oiseau est mal considéré dans notre société et cela se voit au travers de différentes expressions :

    - « tête de linotte » en parlant d’une personne qui oublie tout.

    - « réciter comme un perroquet » signifiant répéter bêtement sans comprendre.

    - Ne parle-t-on pas de « pigeon » ou de « dindon de la farce » pour pointer une personne en train de se faire piéger ? 

    - Et que pensez de l’expression « la poule qui a trouvé un couteau » ? Peut-être le donnera-t-elle à son compère le « canard boiteux » !

    - L’expression « cervelle d’oiseau » est encore plus précise et tant à affirmer que seul l’être humain, avec ses lourds hémisphères, serait doté d’intelligence.


    Le livre de Jennifer Ackerman est là pour nous montrer qu’un peu de modestie serait la bienvenue.


    En traitant ce sujet, on peut vite se faire accuser d’anthropomorphisme, l’auteure devait en être consciente et c’est certainement la raison qui l’a conduite à se baser sur des études scientifiques précises et référencées.


    Jennifer nous montre que ces idées sont en train d’évoluer, la classe des oiseaux a divergé de celle des mammifères il y a bien longtemps, mais cela ne signifie pas que les oiseaux ont cessé d’évoluer depuis cette date ! Ils évoluent en parallèle et améliorent comme nous leurs capacités au fil du temps. 


    Les distinctions entre oiseaux et primates tombent les unes après les autres : élaboration d’outils, culture, raisonnement, aptitude à se souvenir du passé et à se projeter dans l’avenir, facultés d’adopter la perspective de l’autre. Toutes ces formes d’intelligences se retrouvent à différents niveaux chez les oiseaux.


    L’auteure termine l’introduction par cette phrase : « De toute évidence, il existe dans la nature plus d’une façon de câbler un cerveau intelligent ».


    Chapitre 1 : Du dodo au corbeau, prendre la mesure de l’esprit d’un oiseau

    Ce chapitre relate une expédition de l’auteure sur l’ile de Grande Terre en Nouvelle-Calédonie, à la découverte du corbeau calédonien (Corvus moneduloides) considéré comme l’oiseau le plus intelligent.


    Nous découvrirons l’environnement naturel de cet oiseau ainsi que de nombreuses expériences de comportement. Cet oiseau est capable de se confectionner des bâtonnets pointus et de s’en servir pour déloger des larves. Les expériences prouveront que ce corbeau possède une compréhension abstraite de la notion d’outil.


    L’ornithologue Louis Lefebvre de l’université McGill a mis au point une échelle pour mesurer le quotient intellectuel des oiseaux.


    Après de nombreuses études, il ressort que les Corvidés et en particulier les corbeaux et corneilles se partagent la première marche avec les perroquets. Suivent ensuite, les quiscales, les rapaces et en particulier les faucons et les buses, les pics, les mésanges, les calaos, les goélands, les martins-pêcheurs et les hérons. 


    Je ne peux que vous relater cette anecdote dont parle l’auteure : lors d’une conférence, un participant demande à Louis Lefebvre, quel serait l’oiseau le plus stupide du monde ? Ce dernier répond « ce serait l’émeu. » 


    L’émeu étant avec le kangourou l’emblème national de l’Australie, l’ornithologue réputé a frôlé un incident diplomatique !


    Ce chapitre nous révélera deux choses importantes :

    - La taille du cerveau n’est pas le seul facteur à prendre en compte pour mesurer le niveau d’intelligence.

    - Pour que les expériences soient valides, elles doivent être réalisées dans le milieu naturel habituel des oiseaux.


    Chapitre 2 : À la manière des oiseaux, le cerveau aviaire revisité

    Peter Matthiessen, naturaliste et écrivain américain, avait écrit « Ironiquement, le pouvoir de voler, que nous considérons comme la réalisation la plus magnifique de l’oiseau, a également été l’adaptation évolutive qui l’a placé bien loin derrière les mammifères dans le domaine de l’intelligence. » 


    L’auteure explique que le vol est un gouffre énergétique, un oiseau en vol consomme dix à trente fois plus d’énergie qu’au repos suivant les espèces.

    Pour permettre le vol, l’évolution a redoublé « d’innovations », ainsi le squelette d’une frégate de deux mètres d’envergure pèse moins que ses plumes ! La vessie a été supprimée, le foie et le cœur ont été diminués, obligeant à un rythme cardiaque beaucoup plus élevé. Le cœur d’une mésange bat entre 500 et 1000 fois par minute ! Ils ne possèdent plus qu’un seul ovaire fonctionnel.  Inversement, le système respiratoire des oiseaux est surdéveloppé et beaucoup plus efficace que le notre. 


    Cependant, différentes études et analyses montrent que l’apparition du vol n’a pas entrainé une diminution de la taille du cerveau des oiseaux. De plus, ce qui semble important n’est pas la taille du cerveau, mais la quantité de neurones. Il faut donc prendre en compte la densité du cerveau et pas seulement son volume.


    Et justement, les corvidés et les perroquets présentent un nombre de neurones plus élevés avec des densités équivalentes à celles des primates.

    Concernant l’architecture du cerveau des oiseaux, il faudra attendre 2004 pour que des chercheurs montrent que cette dernière n’est pas une sous-évolution de la nôtre, mais une évolution différente.


    Chapitre 3 : Expert, la magie technique

    Lors de ce chapitre, l’auteure va revenir sur les aptitudes du corbeau calédonien. Sur la planète, seuls quatre groupes d’animaux ont la capacité de créer leurs propres outils et des outils complexes : les hommes, les chimpanzés, les orangs-outans et les corbeaux calédoniens.


    Mais ce qu’il y a de plus étonnant encore, pour les corbeaux calédoniens, c’est qu’ils voyagent avec leurs outils, ils les transportent !


    L’auteure nous énumère dans ce chapitre toutes les techniques utilisées par les différentes espèces d’oiseaux. Passionnant.


    Certaines études semblent montrer que les corbeaux calédoniens ont la capacité de se créer une image mentale de l’outil qu’ils vont réaliser.


    Chapitre 4 : Gazouiller, une compétence sociale

    Ce chapitre aborde la sociabilité chez les oiseaux, le chapitre 2 nous avait déjà montré que le coefficient de céphalisation est plus important chez les espèces sociales, c’est-à-dire celles qui vivent en groupes.


    L’auteure va nous monter toutes les subtilités de l’organisation sociale de certaines espèces. Par exemple, les notions de cadeau et de partage seront abordées. Les corvidés peuvent également retarder la satisfaction d’une récompense s’ils en espèrent une plus importante. Il s’agit là d’une forme d’intelligence émotionnelle impliquant la maitrise de soi.

    La notion d’entraide permettant de minimiser les risques de prédation sera également abordée.


    Le chant ainsi que le comportement physique des oiseaux seront abordés dans l’optique de mieux comprendre cette organisation sociale. 


    Une partie très intéressante nous parlera des liaisons entre mâles et femelles, avec tous les cas de figure et leur rôle au niveau sélectif, et en particulier sur l’intelligence. 

    L’auteure relate ensuite le comportement d’un groupe de geais, à la mort d’un congénère. Assez troublant !


    Chapitre 5 : Quatre cents langages, virtuosité vocale

    Ce chapitre va aborder la notion d’apprentissage vocal. C’est le fait d’écouter des sons et de les reproduire, en un mot, de les imiter. Cette capacité est très rare dans le monde animal, seuls les perroquets, les colibris, les passeri (sous-ordre de passereaux comportant 4500 espèces nommées "oiseaux chanteurs"), les arapongas (nommé oiseau cloche, c’est l’oiseau produisant les sons les plus forts : 125 dB !), les dauphins, les baleines, les chauves-souris et l’homme. 


    L’auteure va alors nous donner une multitude d’exemples de chant qu’elle va analyser. Nous découvrirons la syrinx des oiseaux, l’analogue du larynx des autres vertébrés, à la différence que la syrinx se trouve sous la trachée.


    Dans ce chapitre, Jennifer Ackerman nous parlera beaucoup des perroquets et des diamants mandarins, très utilisés dans les études sur les relations chant et cerveau.


    Darwin avait qualifié le chant des oiseaux de « plus proche analogie avec le langage » et il avait bien raison !


    D’étude en étude, l’auteure aboutit sur plusieurs questions : « Comment les cerveaux humains et aviaires en sont-ils arrivés à proposer une solution similaire pour l’apprentissage vocal ? Pourquoi partageons-nous avec les oiseaux des gènes identiques et des circuits cérébraux semblables ? » 


    Une des hypothèses proposées serait que les voies cérébrales pour l’apprentissage vocal auraient évolué à partir de celles utilisées pour le contrôle moteur.


    Pour de nombreuses espèces, les femelles sélectionnent les mâles pour la reproduction à la qualité de leur chant. Il semblerait que la qualité du chant serait un marqueur d’intelligence, de débrouillardise et serait donc sélectionnée.


    Chapitre 6 : L’oiseau artiste, aptitudes esthétiques

    Cette partie du livre va se concentrer sur l’attitude remarquable du jardinier satiné (Ptilonorhynchus violaceus), un oiseau noir brillant aux reflets bleutés qui ressemble à un corbeau. Cet oiseau va construire une plateforme d’environ un mètre carré, puis une arche délimitant une allée. Il va ensuite décorer cette structure avec des objets de couleur bleu ou violette qu’il trouvera dans les parages. Mais ce n’est pas fini, il va peindre une partie de la structure à l’aide d’un morceau d’écorce qui lui servira de pinceau et d’une peinture faite de baies bleues et de poussière de charbon de bois ! Et cela dans l'unique but de conquérir une femelle.

    Jardinier_satiné


    Chapitre 7 : Un esprit de cartographe, ingéniosité spatiale et temporelle

    Cette partie aborde un sujet passionnant, comment les oiseaux migrateurs font-ils pour retrouver leur chemin ? 


    Pour cela Jennifer Ackerman nous parlera beaucoup des pigeons voyageurs, des expériences montrent que ces pigeons déplacés dans une caisse noire à un endroit qu’ils ne connaissent pas et situé à plusieurs centaines de kilomètres de leur poulailler d’origine sont capables d’y retourner sans problème.


    Plusieurs hypothèses seront abordées : repère avec le soleil ou les étoiles, repères visuels au sol, champ magnétique terrestre, repères olfactifs, etc. Après avoir lu ce chapitre, vous ne traiterez certainement plus personne de pigeon !


    Chapitre 8 : La ville des moineaux

    Ce chapitre commence avec une citation attribuée à Darwin, mais qui serait en réalité de Leon Meggison, un professeur de marketing de l’université d’état de Louisiane et qui commentait « l’origine des espèces » de Charles Darwin : « Ce n’est pas l’espèce la plus forte qui survit, ni la plus intelligente. C’est celle qui s’adapte le mieux au changement. »


    Ce chapitre va nous parler des moineaux et de leur capacité d’adaptation aux changements des milieux et en particulier des changements dus à l’homme. Vous pourrez constater que cet oiseau commun que l’on ne regarde presque plus est particulièrement explorateur et inventif. Les moineaux aiment la nouveauté, font preuve d’innovation et d’audace, c’est certainement cela qui leur a permis de conquérir de nombreux milieux urbains considérés comme hostiles.


    Ce chapitre regorge d’anecdotes et d’observations sur les moineaux domestiques. 


    Conclusion de la présentation

    Jennifer Ackerman nous livre ici un travail de synthèse remarquable, très approfondi et très bien documenté. Ce livre compile un grand nombre d’observations passionnantes, nous ne pouvons que remercier l’auteur de nous offrir cet ouvrage. Nous apprenons des choses à chaque page.


    Quelle critique est-il possible de faire ? Il est vraiment dommage que l’éditeur n’ait pas mis plus en valeur ce manuscrit remarquable. Il méritait mieux.


    Le livre est constitué de huit chapitres très longs qui ne sont pas découpés en sous-chapitres, il n’y a pas de titres de sous-chapitre, il est donc très difficile de se repositionner dans le livre, tout est en vrac. Et cela d’autant plus, qu’il n’y a pas d’index à la fin, ni de table de matière au début !


    Nous sommes donc en possession d’un travail documentaire colossal qu’il n’est pas possible d’exploiter pleinement.

     

    Il n’y a qu’une dizaine de gravures en noir et blanc, une version, avec une trentaine de belles photographies couleurs présentant les oiseaux concernés, aurait vraiment agrémenté la lecture. Il est frustrant de lire des explications excellentes sur des oiseaux exotiques que l’on ne connait pas et que l’on n’a jamais vus. 


    À quand une version imagée ? Ce travail le mérite amplement.


    La lecture de ce livre m'a donné envie de relire le livre de Konrad Lorenz : Trois essais sur le comportement animal et humain, Points Sciences, Editions du Seuil, 1970.

    Konrad Lorenz postulait à l'époque que lors de la construction de leur nid, les oiseaux ne savent pas que c'est pour pondre les oeufs à l'intérieur !

    Exemple de gravure du livre Le génie des oiseaux<br>de Jennifer Ackerman
    Exemple d'une page du livre Le génie des oiseaux<br>de Jennifer Ackerman
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