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Thierry Pernot
21/04/2021
Un mal qui perdure : l'eutrophisation
Qu'est-ce que l'eutrophisation des rivières ? Peut-on la limiter ?
N° article : 143
  1. Eutrophisation et algues vertes sur la rivières d'Ain

    Un mal qui dure : l’eutrophisation des rivières


    Nos cours d’eau souffrent essentiellement de quatre maux :

    - Le manque d’eau causé par l’excès de pompage et par le réchauffement climatique.

    - L’eutrophisation des rivières qui est causée par l’agriculture et par le rejet des eaux usées enrichies en phosphates par l’utilisation des lessives. L’eutrophisation est également accentuée par le réchauffement climatique.

    - Les pollutions chimiques provenant de rejets d’entreprises, rejets autorisés ou non.

    - L’interruption ou la modification de leur cours par des ouvrages d’art, barrages, canaux et autres.


    Dans cet article, nous allons nous concentrer sur le problème de l’eutrophisation des rivières et de ses causes et en particulier celle liée à l’utilisation de lessives. 


    L’eutrophisation des rivières

    Quoi de plus magnifique et de plus reposant que de regarder l’eau limpide glisser sur les galets ? Ce spectacle tout le monde l’a déjà contemplé, du moins je l’espère, car de nos jours nous constatons souvent un lit de rivière dont les galets sont encroutés dans une gangue brunâtre du plus mauvais effet. En été, au lieu de renvoyer mille reflets chatoyants, la surface de l’eau est souvent recouverte d’une masse gluante d’algues vertes à l’odeur plus ou moins repoussante.


    Ce développement intempestif d’algues vertes et brunes au fond de la rivière et en surface est causé par l’eutrophisation du cours d’eau.

    « trophè » en grec signifie « nourriture » et « eu » signifie « bien ». Une rivière « eutrophe », c’est une rivière « bien nourrie ». Il faudrait plutôt dire « trop bien nourrie ».


    L’eutrophisation est un phénomène naturel. Le long d’un cours d’eau, vous trouverez en amont, proche de la source, une zone oligotrophe, c’est-à-dire une zone où l’eau contient très peu d’éléments nutritifs. À mesure que vous descendez la rivière, vous allez atteindre une zone mésotrophe, c’est-à-dire une zone moyennement riche en éléments nutritifs, pour finir, en aval, avec une zone eutrophe riche en éléments nutritifs.


    Plus l’eau est riche en éléments nutritifs et plus l’activité biologique pourra être intense.

    Lorsque l’on parle d’eutrophisation des rivières, cela signifie qu’il y a une augmentation et une accumulation anormale d’éléments nutritifs dans l’eau.


    Un facteur limitant : le phosphore (P)

    Dans l’eau des rivières et des lacs, les facteurs qui limitent le développement des algues sont la quantité de phosphore (sous forme de sels de l’acide orthophosphorique H3PO4) et la quantité d’azote (sous forme de nitrate NO3-). 


    Quand tout le phosphore ou tout le nitrate a été absorbé par les végétaux, il ne peut plus y avoir de développement des algues. Cela conduit normalement à une forme d’autorégulation du développement algale.

    Généralement, le facteur limitant numéro un, c’est le phosphore. Et c’est d’ailleurs pratiquement le seul, car si la concentration en azote de l’eau est trop faible, l’azote de l’air peut devenir une source. 


    Le manque de phosphore est donc le facteur principal d’autorégulation de l’eutrophisation des rivières.


    Mais l’homme intervient, les épandages d’engrais, de lisiers, de fumier excessifs dans les champs conduisent par ruissèlement à un enrichissement nutritif des rivières. Le sol n’est capable de fixer qu’une certaine quantité de nitrates et de phosphates, quand cette valeur est dépassée, tous les ions sont entrainés avec l’eau de pluie et finissent dans les lacs et les cours d’eau. 


    Les rejets domestiques, et en particulier à cause des lessives, sont riches en phosphates (souvent NaH2PO4) et produisent le même effet. 


    Il faut également savoir que notre métabolisme produit du phosphore qui est rejeté par nos selles et notre urine. Les stations d’épuration tentent de réduire le taux de phosphore rejeté au maximum. Malheureusement, le processus de filtration n’est pas parfait, de plus toutes les eaux usées ne passent pas par des stations d’épurations et certaines peuvent dysfonctionner.


    Il est donc important de limiter la production de phosphore et de nitrate à la source.


    À ce sujet vous pouvez consulter le document « Traitement du phosphore dans les petites stations d’épuration à boues activées » du Cemagref.

    Cemagref Phosphore


    Pourquoi le fait d’enrichir l’eau des rivières en éléments nutritifs est-il problématique ?


    Tout est question de concentration, un peu d’éléments nutritifs est bénéfique, trop d’éléments nutritifs devient catastrophique. En effet, toutes ces algues qui vont se développer en très grande quantité vont finir par mourir et pourrir, leur dégradation dans l’eau est un processus qui consomme beaucoup d’oxygène. La chute de la teneur en oxygène de l’eau va entrainer la mort de multiples organismes, jusqu’aux poissons dans les pires cas. De plus, ces algues mortes vont former une croute sur les galets renforçant ce phénomène d’anoxie et limitant les habitats pour les invertébrés aquatiques.

     

    Pire, les algues en surface empêchent la lumière de pénétrer dans l’eau ce qui réduit fortement la photosynthèse du phytoplancton. 


    En résumé, la biodiversité du cours d’eau va chuter. Seules certaines espèces résistantes à ces milieux eutrophes vont persister.


    Typiquement, dans une eau saine en amont, vous rencontrerez une zone à truites avec comme invertébrés aquatiques des éphéméroptères, des trichoptères, des plécoptères et des planaires.


    Si la rivière montre un début de pollution, vous trouverez davantage de trichoptères, de gammares, et de simulies.


    Si la rivière est fortement polluée, vous allez observer un voile bactérien en surface, des tubifex, des chironomes, des éristales, des aselles, des sangsues.


    Un des marqueurs essentiels de la qualité d’une eau de rivière est la présence d’éphéméroptères : les éphémères. Se sont des sortes de grandes mouches avec un abdomen allongé et de grandes ailes. Les larves aquatiques, que l’on peut observer sous les cailloux, ont une durée de développement de 3 ans environ. À l’éclosion, les adultes s’envolent, se reproduisent et meurent rapidement. Les adultes ne vivent que quelques heures. 


    Lorsque je pêchais à la mouche dans l’Ain sur la partie amont entre Champagnole, Crotenay et Pont-du-Navoy, il y a trente ans, au printemps nous pouvions observer des nuages d’éphémères ! Ce n’est malheureusement plus le cas. J’ai troqué depuis longtemps ma canne à pêche pour un appareil photographique ! 


    Plus la quantité d’éphémères est importante, plus votre rivière est en bonne santé. Si vous ne voyez plus d’éphémères sur une partie amont d’une rivière, vous pouvez considérer que la rivière est morte.


    Sur l’écologie des cours d’eau, vous pouvez consulter un travail de mon professeur d’hydrobiologie de l’université de Besançon (à l’époque nous ne parlions pas encore de réchauffement climatique, mais nous parlions déjà d’eutrophisation !) : 

    Cours d'eau de Franche-Comté (massif du Jura) : Recherches écologiques sur le réseau hydrographique du Doubs : Essai de biotypologie Jean Verneaux 1973.


    Plus facile d’accès : « La rivière milieu vivant » de Michel Fellrath aux éditions Payot Lausanne 1980.


    L’effet du réchauffement climatique

    Le réchauffement climatique va accentuer ce problème de deux manières :


    - L’augmentation de la température de l’eau favorise la croissance des algues. De plus, plus la température de l’eau est importante, moins elle peut contenir d’oxygène. Vous voyez, nous entrons dans un cercle vicieux.


    - La raréfaction des précipitations ou leur caractère imprévisible va également accentuer le problème. Les périodes de très basses eaux en été sont catastrophiques pour les cours d’eau, nous atteignons lors de ces périodes des températures d’eau beaucoup trop élevée. Les très fortes crues en revanche peuvent avoir un effet bénéfique, en arrachant la gangue sur les galets, elles nettoient littéralement la rivière, du moins temporairement.


    J’en profite pour remercier Nicolas Germain de m’avoir transmis les photographies de l’Ain avec la mise en évidence du phénomène d’eutrophisation. Je n’avais que de belles photographies de l’Ain prises en période hivernale ! Mais il faut surtout le remercier pour son combat permanent depuis plusieurs années pour la protection des rivières, pour son témoignage sur la dégradation des cours d’eau. Nicolas a déjà tiré plusieurs fois la sonnette d’alarme, malheureusement nous constatons toujours ce problème.

    Nicolas est un pêcheur passionné, un pêcheur de haut niveau, mais aussi un amoureux de la nature, vous pouvez le retrouver sur son blog de pêche ici : Blog Nicolas Germain


    Comment limiter les rejets de phosphates ?

    Comme nous l’avons déjà dit, les rejets de phosphates proviennent essentiellement de l’agriculture, des eaux usées et de certaines industries.


    Que pouvons-nous faire en tant que particulier ? 

    Nous ne pouvons pas modifier notre métabolisme ! Il ne nous reste plus qu’à limiter ou même supprimer notre consommation de lessive.


    Par quoi peut-on remplacer la lessive aux phosphates ?

    Vous avez peut-être déjà entendu parler des boules de lavages à billes de céramiques (Gargouilles ou autres), des noix de lavage végétales et des lessives au savon noir. 


    - Les billes de lavage en céramique libéreraient des ions qui amélioreraient le lavage.


    - Les noix de lavage végétales contiennent de la saponine qui a un effet moussant et tensioactif comme les lessives. Les saponines sont des molécules de défense développées par les plantes pour se protéger des insectes et autres brouteurs. Les saponines issues de Sapindus mukorossi ne sont pas toxiques pour l'homme, elles sont utilisées massivement en Inde. 

    Le bilan écologique des noix de lavage a été comparé au bilan écologique des lessives traditionnelles en 2007 par des étudiants  de l’École polytechnique fédérale de Lausanne : « En tenant compte de tout le cycle de vie, les noix ressortent partout meilleures pour l’écologie. Le transport en bateau ayant un impact bien moindre que la fabrication de la poudre. » Référence : https://www.bonasavoir.ch/ 5237-noix-de-lavage-moins-blanc -mais-plus-ecolo


    - La lessive au savon noir : il s’agit d’une lessive que vous pouvez réaliser vous-même. Elle est constituée de savon noir liquide à l’huile d’olive, d’eau, de bicarbonate de soude, de cristaux de soude et éventuellement d’huiles essentielles pour la parfumer. Vous pouvez trouver la recette sur un des articles associés.


    Ces différentes possibilités sont-elles suffisamment performantes ?

    Dans un premier temps, je vous propose de faire un test grandeur nature avec un protocole précis pour savoir si ces procédés alternatifs peuvent remplacer efficacement les lessives industrielles, en totalité ou en partie.


    Je ne vous cache pas que j’espère grandement que le test va être positif, au moins en partie, car si c’est le cas, nous avons là un moyen simple de réduire une partie de la pollution à l’origine de l’eutrophisation. Si ce n’est pas le cas, il faudra le reconnaitre et tenter de trouver d’autres solutions.


    Vous pouvez d'ores et déjà retrouver le protocole de test et les résultats sur l'article associé : alternatives aux lessives industrielles.

    Eutrophisation et algues vertes qui recouvrent les cailloux sur la rivières d'Ain
    Eutrophisation et chute de la biodiversité sur la rivières d'Ain
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